Une histoire de logos

« L’histoire, au sens moderne, précise Charles Seignobos, […] est la science des faits humains du passé ».  La méthode alors recommandée, la méthode historique, consiste, selon l’historien, professeur à la Sorbonne, à examiner les traces laissées par les hommes pour tenter d’accéder aux faits du passé. Ici, c’est par l’examen d’une marque en forme de blason que se trouve être proposée une certaine approche de l’histoire de notre vieille société savante saint-loise fondée dans les premières années de la Monarchie de Juillet.

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Une histoire de logos

 

1e partie : un nouveau logo remplace l’ancien blason

 

D’aussi loin que peut porter le regard de l’historien-sociologue, il n’est guère de groupe socialement constitué, qu’elle qu’en soit la nature, qui n’ait pas, à un moment ou à un autre, éprouvé l’impérieuse nécessité de se faire connaître et reconnaître des publics auxquels il est censé s’adresser. C’est encore plus vrai dans une époque où règnent les lois de la communication qu’au travers d’une formule, d’un sigle, d’un acronyme, d’une insigne, d’un emblème, d’un monogramme, d’un visuel aussi simple que prégnant, se distingueront et se différencieront des entités semblables. Le logotype, plus couramment appelé « logo » par apocope, constitue, de ce point de vue, la réponse la mieux adaptée aux règles et impératifs des réseaux sociaux actuels.

Or, force fut de constater au moment où la section de Saint-Lô de la Société d’archéologie et d’histoire de la manche s’est vu confier la charge de préparer le 50e congrès de la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Normandie « Eduquer en Normandie », l’absence d’un tel logo. Le président d’alors prit l’heureuse initiative de demander à Denis Lethimonnier dit Thimo, par ailleurs auteur de l’original visuel particulièrement apprécié du congrès, d’imaginer, de concevoir et de réaliser ce qui allait signer l’identité de la section saint-loise de la Société d’archéologie et d’histoire de la Manche.

 

 Offert par son auteur Denis Lethimonnier. thimograph@sfr.fr

 

 

Belle réalisation assurément, et juste. Elle reprend le thème de la licorne, symbole de la cité qui héberge la section depuis sa fondation. Pour l’explication du symbole, on se reportera à l’excellente analyse qu’en propose Jean-Baptiste Auzel, directeur des archives départementales de la Manche, publiée par la Revue de la Manche1 ainsi qu’au non moins remarquable article de Paul Le Cacheux daté de 1920 paru dans Notices, mémoires et documents publiés par la Société d’Agriculture, d’Archéologie et d’Histoire Naturelle du département de la Manche2Offert par son auteur, aussi adhérent de la section, ce logo est désormais la marque de l’identité de la section de Saint-Lô3. Inspiré de la licorne en position plutôt « saillante » que « courante » selon la typologie habituellement retenue, la corne, dessine habilement la côte située à l'est du département tandis qu’un subtil trait, sortant légèrement du cadre, évoque la côte ouest. De sorte qu’il est ainsi tout à fait possible d’imaginer la position géographie de la cité préfectorale approximativement à la place de l’œil de l’animal légendaire.

 

Edouard Lepingard, « L’armorial de la ville de Saint-Lô »,

Notices, mémoires et Documents, Vol. 12, 1894, p. 16.

 

Toutefois, affirmer un constat de carence d’un tel signe distinctif sous forme d’un logo, n’est pas tout à fait conforme à l’histoire. En ce domaine, il convient d’être aussi précis que possible en confrontant les témoignages recueillis aux sources les plus sures. La Société d’Agriculture, d’Archéologie et d’Histoire naturelle du département de la Manche dont découle directement notre actuelle section, s’était dotée, en 1851, peut-être avant, d’une telle marque distinctive4. Bien que le processus de création ait commencé quelques années auparavant, concomitamment à la fondation, par Gustave de Clinchamps, de la Société avranchinaise, elle, datée du 16 juillet 1835, cette société savante saint-loise, dont le principe avait été adopté le 27 mars 1835 fut officiellement fondée à l’hôtel-de-ville de Saint-Lô le 29 janvier 1837 par le maire, Pierre le Menuet de la Juganerie5. C’était, faut-il le préciser, une période faste pour la création de telles sociétés. François Guizot, convaincu de l’intérêt éducatif que représentait l’apport de ces sociétés souhaitait la mise en œuvre d’une sociabilité intellectuelle et savante. On sait que, pour développer l’activité académique, le ministre de l’Instruction publique de la Monarchie de Juillet, bien relayé dans notre région par Arcisse de Caumont,  aida de ses deniers la création des sociétés savantes6. Nos sociétés savantes d’Avranches et de Saint-Lô ont vraisemblablement bénéficié de ce courant favorable. Pour revenir à la marque en forme de blason adoptée par la société saint-Loise, on ne sait si elle est la copie d’un sceau, d’un timbre ou celle, comme pour la très vénérable Société des Antiquaires de Normandie fondée en 1824 par Arcisse de Caumont, d’un jeton de présence. On ne connait pas, non plus, la dimension d’origine7 de ce blason, ni d’ailleurs les concepteurs et encore moins, en l’état actuel des sources,  le processus qui a conduit à son adoption.  On peut seulement en proposer une description. De forme circulaire, sur le pourtour, en couronne, se lit la mention suivante : « SOC. D’AGR. D’ARCH. ET D’HIST. NAT. DU DEP. DE LA MANCHE. ». Et pour terminer la mention, en bas, une licorne, emblème de la cité saint-loise, une licorne peut-être en position « courante ». Au milieu dans un cartouche, entouré de symboles dont la signification demanderait à être précisée, une formule : « Rien sans travail ». De couleur grise, et sans vouloir commenter une formule qu’une histoire plus récente a chargée de certaines connotations, cette marque d’apparence vieillie et datée, peut éventuellement rencontrer certaines nostalgies du XIXe siècle voire du milieu de ce siècle aux évènements si particuliers. Il nous faut cependant faire confiance en la sagesse des érudits précurseurs. Peu préoccupés de ces réappropriations interprétatives, ils ont vraisemblablement retenu ce précepte des odes du poète antique Alcman8 sous la forme proverbiale : Rien sans travail. « Le principe de la science, dit Alcman, c’est l’effort. » Formule, à l’évidence bien adaptée aux buts et principes de notre vieille société savante. Néanmoins, en ce début du XXIe siècle, nous lui préférons la création de notre ami Denis Lethimonnier, plus moderne et assurément mieux inscrite dans notre temps.

A dire vrai, cette marque, à l’origine, ne semblait pas avoir été conçue pour un tel dessein. Bien que ne soit pas encore solidement établies ni la conception ni la commande encore moins la signification9, le blason semblait plutôt destiné à accompagner les publications de la société savante saint-loise. Il apparaît en première de couverture, dès le premier volume de Notices, mémoires et documents publiés par la Société d’Agriculture, d’Archéologie et d’Histoire Naturelle du département de la Manche, publié à Saint-Lô par l’Imprimerie d’Elie fils, en 1851.

 

Journal officiel du 3 décembre 1903

C’était bien répondre aux statuts approuvés par le ministre de l’Intérieur le 9 octobre 1840, notamment aux articles 29 et suivants, confirmés par les statuts modifiés du 9 novembre 1903, particulièrement l’article 21, déclarés le 16 du même mois et, en exécution de la loi du 1er juillet 1901 sur les associations, publiés au journal officiel de la République le 3 décembre 1903 sous la rubrique suivante : « Société d’Agriculture, d’Archéologie et d’Histoire Naturelle du département de la Manche ayant pour but le développement de l’Agriculture et la conservation des monuments et musée. » Le siège en était fixé à Saint-Lô, rue des Halles, au musée. 

 

L’usage de ce blason datant des années 1850, coïncidant avec l’avènement d’un bonapartisme renaissant, a été abandonné par la section saint-loise il y de cela maintenant soixante ans. Cet « abandon » mérite une élucidation. N'étant plus utilisé par la section saint-loise, le blason apparu en 1851 sur la première de couverture du premier volume de Notices, mémoires et documents publiés par la Société d’Agriculture, d’archéologie et d’Histoire Naturelle du département de la Manche est repris, dans les années 2000, à la demande du président Jean-paul Hervieu, par la Revue de la Manche, publication de la Société d’archéologie et d’histoire de la Manche, dont il devient l’emblème. Cette explication sera abordée dans une seconde partie prochainement publiée.

A suivre...

Yves Marion

Vice-président de la Sahm Saint-Lô

Fontaine-Etoupefour, 8 mai 2018

 

Avec la participation de :

-          Anne-Marie Desbuttes

-          Chantal procureur

-          Daniel Hélye

-          Henri Belhaire

 

 

 

 

 


1 Jean-Baptiste Auzel, « Petite histoire de l'héraldique saint-loise », Revue de la Manche, n° 238 (4e trimestre), 2017, p. 3-9.

2 Paul Le Cacheux, « Le blason de la ville de Saint-Lô », Notices, mémoires et documents, Société d’agriculture, d’archéologie et d’histoire naturelle du département de la Manche, Saint-Lô, 1920, vol. 32, p. 45-66.

4 Le blason apparaît en couverture du volume 1 de Notices, mémoires et documents publiés par la Société d’agriculture, d’archéologie et d’histoire naturelle du département de la Manche conformément aux statuts de la société revue en 1840.

5 Gaétan Guillot présentant le catalogue du musée dans Notices, mémoires et documents publiés par la Société d’agriculture, d’archéologie et d’histoire naturelle du département de la Manche, vol. 22, 1904, précise que le principe de fondation se trouve relancé avec les précurseurs de 1833, le 27 mars 1835. Deux années furent cependant nécessaires pour officialiser ladite fondation. Aussi préférons-nous retenir la date du 29 janvier 1837 comme date officielle. Le menuet de La Jugannière ou Le Menuet de la Jugannerie ou Juganerie. 

6 Hervé ROBERT, La Monarchie de Juillet, Paris, CNRS éditeur, coll. Biblio, 2017, p. 106

7 Faute de sources, l’histoire n’est pas possible, précise Charles Seignobos. Voir, La méthode historique appliquée aux sciences sociales, Paris, Félix Alcan, 1901, p.  4 : « Si les actes qu’il s’agit de connaître n’avaient laissé aucune trace, aucune connaissance n’est possible ».

8 Poète lyrique grec du VIIe siècle av. J.-C. Voir Alexis PIERRON, Histoire de la littérature grecque, Paris, Hachette, 1867, 599 p. En ligne : http://remacle.org/bloodwolf/livres/pierron/table.htm [consulté le 6 mai 2018]

9 Sera abordée dans la seconde partie de l’article.

Source : Guillaume VIEL, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01708330/document

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