Procès-verbal de juridiction dans l'affaire d'un pistolet au marché de Saint-Lô (1568)

 

Archives Départementales de la Manche (50), Fonds du diocèse de Coutances et Avranches, Temporel, Baronnie de Saint-Lô, 301 J 345, Pièce 16

 

 

 

Le pistolet n’était pas chargé…

 

Dessin de l’auteur – Tous droits réservés

 

L’histoire commence par la vente de deux bœufs au marché de Saint-Lô, un jour de juin 1568. L’affaire conclue avait abouti à un contentieux entre les parties. Les animaux avaient été cédés contre un pistolet et un écu. Le vendeur, un certain Jacques Guérin de Belval[1], essayait auprès de l’acheteur d’échanger son paiement estimant qu’il avait été trompé.

L’acquéreur, Guillaume de la Haze, de Neuilly-la-Forêt[2], lui aurait donné un écu cassé et un pistolet qualifié de faible. En attendant de juger l’affaire devant Jean Vaultier, sénéchal de Saint-Lô, les deux comparses étaient contraints d’élire domicile en la ville chez Maître Gilles Mesnildrieu jusqu’au jugement et les dites pièces confisquées par la justice. Elles devaient être présentées devant témoins sous quinzaine, les protagonistes ayant accepté que l’affaire fût instruite en la juridiction de Saint-Lô, dont le premier magistrat était l’évêque de Coutances, sire et baron du dit lieu.

Un troisième acteur, qui considérait qu’au contraire, l’évêque et ses vassaux n’avaient en aucune manière à se mêler de cette affaire, venait proférer quelques menaces en l’office du sieur Vaultier. Il s’agissait de Maître Richard Thiboult, se disant lieutenant du vicomte de Carentan en cette ville. Ce personnage sanguin estimait cette affaire comme relevant de sa vicomté peut-être à cause de la sergenterie noble de Saint-Lô qui en dépendait. Il semblait aussi vouloir dénier tout droit du baron, sur les marchés de la ville alors que pourtant il en était légitimement détenteur. Il fut amené à menacer d’amende et de prison quiconque viendrait s’en occuper. Il vint appuyer ces mots par le geste en confisquant avec violence, le registre du greffe du sénéchal pour le remettre au greffier vicomtal.

L’affaire fut relatée sur quelques feuillets de papier qui échouèrent aux archives diocésaines de Coutances puis versés aux archives départementales de la Manche, le fonds répertorié sous la cote 301 J. L’archiviste diocésain annota l’article de la chemise no 16, « Baronnie de St-Lô, 1568, procès-verbal de juridiction dans une affaire de pistolet au marché de St-Lô ». L’objet attirait mon attention car évoquant ma ville de naissance pour laquelle j’ai un profond attachement et également parce que le sujet me semblait original : une arme à feu saisie un jour de marché.

Car tel me le laissait supposer l’énoncé de l’archiviste. A ce stade, je pensais que le pistolet confisqué était une arme mais je n’avais pas compris ce que le terme « faible » désignait alors, ce qui me laissait quelque peu sur ma faim. Un évènement heureux allait m’éclairer sans équivoque : la conférence de Jérôme Jambu[3], le 15 septembre 2018 à Saint-Lô, sur le trésor monétaire découvert à Donville-les-Bains entre 2014 et 2017. En effet, lors de cette passionnante intervention, ce spécialiste nous indiqua que le lot de 24 pièces d’or découvert était constitué de pistoles espagnoles. N’étant pas numismate et encore moins spécialiste des monnaies ibériques, ce mot résonnait comme une révélation. À ma question quant au terme pistolet, celui-ci me répondit qu’il s’agissait d’une petite pièce d’or de la valeur d’une demi-pistole soit un écu d’or.

Le terme employé dans le texte de 1568 reprenait alors son sens premier : une pièce d’or dont le poids était plus faible que celui attendu. Il s’agissait donc probablement d’une pièce rognée[4]. Cette pratique qui n’était ni plus ni moins que du vol, était fréquente sur les pièces d’or et particulièrement les espagnoles. Cela devait provenir du fait que d’une pièce à l’autre, elles affectaient des formes très irrégulières. En effet, la mise au bon poids (le bon aloi) s’obtenait par retrait de métal à la cisaille seulement après la frappe du flan[5]. Visuellement et sans balance, il aurait donc été plus difficile de déceler un manque de métal sur ce type de production.

-       Par quel moyen le vendeur s’est-il aperçu de ce manque ?

-       A-t-il fait appel à l’atelier monétaire saint-lois[6] ?

Nous ne saurons pas si le vendeur, arrivé au terme de la procédure, aura obtenu gain de cause. Toujours est-il que j’aurais de mon côté, identifié l’objet du « crime »...

Denis Lethimonnier dit Thimo

 

Voir la transcription du texte original.

 


[1] Commune du département de la Manche, arrondissement de Coutances, canton de Quettreville-sur-Sienne. Située à environ 24 Km de Saint-Lô.

[2] Commune du département du Calvados, arrondissement de Bayeux, canton de Trévières. Située à environ 22 Km du même lieu.

[3] Jérôme Jambu est conservateur en charge des collections des monnaies étrangères au Département des Monnaies, Médailles et Antiques de la Bibliothèque nationale de France. Son mémoire de thèse a fait l’objet d’une publication traitant principalement des ateliers monétaires de Saint-Lô et de Caen (cf. note suivante).

[4] Jérôme Jambu, Tant d’or que d’argent, La monnaie en Basse Normandie à l’époque Moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Presses universitaires de Rennes, 2013, pp. 302-303.

[5] Terme de monnayage. Pièce de métal qu'on a taillée et préparée pour en faire une pièce de monnaie, un jeton, une médaille (Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, édition de 1874, Tome deuxième, p. 1691).

[6] L’atelier reste encore relativement actif en cette année 1568 mais subira une période de chômage l’année suivante (Jérôme Jambu, op. cit., cf. graphique p. 101). La nécessité d’utiliser des poids monétaires précis devait immanquablement faire que l’expertise d’un atelier fut sollicitée bien que d’autres professions (officier « balancier », changeur, receveur, trésorier, marchand voire notaire) utilisaient ce type de balance ou trébuchet (ibid., p. 304).

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