Jacques Feuillet, premier président de la Société savante saint-loise

Jacques Feuillet fut le premier président de la Société d'agriculture, d'archéologie et d'histoire naturelle du département de la Manche fondée à Saint-Lô le 29 janvier 1837.

Notre société saint-loise, Société d'agriculture, d'archéologie et d'histoire naturelle du département de la Manche, fut officiellement fondée le 29 janvier 1837, à l’Hôtel-de-ville de Saint-Lô, par le maire Pierre Le Menuet de la Jugannière.

En histoire, il importe d'être aussi précis qu'il est possible de l'être en s'appuyant sur les sources les plus fiables afin d'éviter les reconstructions a posteriori toujours suspectes qui relèvent plutôt du story tellling ou de l'histoire racontée.

Le principe de sociétés savantes était dans l'air. Avec la même logique éducative qui caractérise Guizot, le Normand d'adoption, député de Lisieux, alors ministre de l'Intérieur puis ministre de l'Instruction publique, en avait fait une obligation par la loi du 18 juillet 1834. Une circulaire du ministère de la Justice et des Cultes du 20 décembre 1834 adressée aux préfets recommande la création de telles sociétés dans tous les arrondissements. Dans le département de la Manche, hormis la vieille Société académique de Cherbourg créée sous l'Ancien régime et la Société Constantine mais à l'existence incertaine, des idées de telles sociétés commençaient à émerger. Avranches était la plus avancée sous l'égide de l'érudit Gustave de Clinchamps, membre par ailleurs de la Société des Antiquaires de Normandie et ami d'Arcisse de Caumont. A Saint-Lô, le magistrat Charles Bottin se montrait le plus actif. Il devait quitter la cité pour prendre les fonctions de juge de paix à Longny, dans l'Orne. Il fut bien fait mention d'une réunion dès le 27 février 1833 mais elle n'eut les suites espérées. De profonds désaccords se faisaient jour entre les participants notamment sur la place qui devait être faite à l'agriculture. Bref, il ne se passa rien durant deux années. Il fallut un courrier du préfet adressé aux sous-préfets pour hâter le mouvement et le même, au maire de Saint-Lô, pour lui demander " de faire ce qui dépendra de lui pour aplanir les difficultés qui s'opposeraient au projet de la Société et en favoriser la formation". Sur ce qui apparaît comme une injonction, le maire réunissait le 27 mars 1835, sous sa présidence, à la mairie, une assemblée qui, manifestement, n'avait pas d'autre alternative que d'accepter le principe. Il fit taire les divergences et désaccords. Il mit un terme aux tergiversations et atermoiements. Dans la logique administrative de l'époque, très centralisée, la démarche fut aussitôt relayée par la préfecture pour que le ministère octroie, le 8 août 1836, l'autorisation réglementaire. Et c'est à nouveau à l'invitation du maire de Saint-Lô que les membres se réunirent, à la mairie, le 29 janvier 1837. Cette date doit être retenue comme celle de la formation de la Société d'agriculture, d'archéologie et d'histoire naturelle du département de la Manche ainsi que le souligne l'historien Guillaume Viel dans sa thèse soutenue à Caen en 2017. Là, où se rejoignent nos propres recherches fondées sur des sources et démarches différentes. Le maire et le préfet en furent nommés présidents honoraires. La société saint-loise ne résulta pas, à la différence de celle d'Avranches, d'une fondation harmonieuse et spontanée. Il a fallut plusieurs interventions administratives injonctives pour imposer à saint-Lô une société telle qu'elles étaient voulues par la Monarchie de Juillet. Parmi les membres, outre Charles Bottin, ayant déjà quitté la cité et qui fut membre non résident, on relève deux pharmaciens saint-Lois, un docteur en médecine, d'autres membres et surtout Ephrem Houël du Hamel (1807-1885). Lequel, avec son père, étaient membres de la Société des Antiquaires de Normandie. (Une notice est en cours de préparation). Observons que Jacques feuillet n'est jamais mentionné parmi ces membres qu'on va appeler par la suite, sans doute par flatterie, membres fondateurs ou encore pères fondateurs. Le préfet, Thomas Louis Mercier, et son prédécesseur, Paulin Nicolas Gattier, et plus encore le maire de Saint-Lô, Pierre le Menuet de la Jugannière, à mes yeux, mériteraient davantage de se voir attribuer ces titres largement honorifiques.

Néanmoins, Jacques feuillet, en fut le premier président élu. Et ce n'est peut-être pas un hasard. Secrétaire général de la préfecture, il est l'envoyé du préfet pour structurer une société qui avait quelques difficultés à se mettre en mouvement. C'est une initiative heureuse car il va réussir en passant le témoin à Ephrem Houël, alors secrétaire, qui en sera le second président.

Jacques Feuillet, fils d’un avocat au parlement de Rouen, né à Torigni-sur-Vire, le 8 décembre 1788, ainsi qu’en atteste un extrait d’acte de naissance joint à son dossier de légion d’honneur, lui-même magistrat, juge auprès du tribunal civil de Saint-Lô, secrétaire général de la préfecture du département de la Manche, est aussi connu pour être le père d’Octave Feuillet, romancier du Second Empire, intime du couple impérial et le frère du diariste Charles Feuillet des Pallières. A Saint-Lô, les Feuillet ont logé rue Saint-Georges puis rue Torteron où ils possédaient un hôtel particulier acquis en 1830.

Laissons parler Raymond Hélie qui lui consacra un bel article publié, en 1935, par Notices, mémoires et documents de la Société d’agriculture, d’archéologie et d’histoire naturelle du département de la Manche, Vol. n° 47, conservé en tiré-à-part par les Archives départementales de la Manche :

« Le 27 février 1833, une réunion se tenait à Saint-Lô dans l’intention de créer une société d’histoire naturelle. Après maints atermoiements, faisant état d’une lettre du Ministre de la Justice et des Cultes, les intéressés modifiant le but primitivement le but projeté, fondèrent la société d’agriculture, d’archéologie et d’histoire naturelle de la Manche, font l’autorisation porte la date du 9 août 1836.

La maison avait besoin d’un chef de qualité. Elle le trouva en Jacques Feuillet, qui, plus par dévouement, que par vanité, accepta la charge que ses collègues venaient de lui confier.

Une fois encore il donnait les preuves d’un inaltérable attachement à sa petite patrie.

dans sa retraite brusquée, il n’en continua pas moins à se dévouer corps et âme à cette société historique à laquelle son nom reste intimement attaché. »

C’est exactement ce que disait Ephëm Houel, son successeur à la présidence de la société, certes en d’autres termes, dans la notice nécrologique publiée en 1864 par Notices, mémoires et documents de la Société d’agriculture, d’archéologie et d’histoire naturelle du département de la Manche, Vol. n° 2. P. 201-206.

Notre société saint-loise doit continuer à rendre un hommage appuyé à Jacques Feuillet, chevalier de la Légion d’Honneur, qui en fut l’un des principaux artisans et le premier président. Jacques Feuillet s’éteignit le 23 mars 1858. « On n’oubliera pas que, écrit Ephrëm Houel, dans les crises où les événements nous ont fait passer, il sut maintenir, notre drapeau d’une main ferme et conserver à l’institution son autonomie et ses bases fondamentales ». Et de poursuivre : « Aussi, Messieurs, la mémoire de celui qui eut l’honneur d’inscrire le premier son nom en tête de vos annales vivra-t-elle éternellement parmi vous… Nous devons rendre hommage, au nom de notre pays, à M. Jacques Feuillet, d’abord comme président fondateur de notre Société, et ensuite comme père de M. Octave Feuillet. »

Il apparaît dans ces notices une certaine retenue dans le choix des termes et des formulations qu'il importe de lire à la lumière des sources. Ainsi, par exemple, "atermoiements" sous la plume de Raymond Hélie ou "crises où les événements nous ont fait passer" sous celle d'Ephrem Houël dans la notice nécrologique qu'il consacra à son prédécesseur sont à comprendre comme des euphémismes. En fait, Jacques Feuillet est un administrateur de préfecture. Avec l'aide d'Ephrem Houël, lui-même imprégné des idées d'Arcisse de Caumont, Jacques Feuillet structure et organise la jeune société en sections, agriculture, archéologie, histoire naturelle. La première réunion de la société sous la présidence de Jacques Feuillet est fixée au 7 juillet 1837. Charles Feuillet des Pallières, le frère du président, membre de la section agriculture, raconte dans son Journal cette assemblée.

Ainsi, la Société d'agriculture, d'archéologie et d'histoire naturelle du département de la Manche est-elle la seconde société savante du 19e siècle créée dans le département, après celle d'Avranches. Proche de Saint-Lô, mais dans le département voisin, La Société d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres de Bayeux sera, elle, créée le 22 août 1841.

Il fallut du temps pour créer la société savante saint-loise. La gestation ne fut pas des plus faciles et ne demanda pas moins de quatre années. Les affrontements entre personnes furent âpres et houleux. Les relations étaient telles que rien de constructif ne pouvait être envisagé. Il fallut donc attendre l'intervention directe des pouvoirs publics pour imposer, à Saint-Lô, une telle société. Jacques Feuillet, secrétaire général de la préfecture, fut l'homme de la situation. Jusqu'à sa mort en 1858, il assura une présidence constructive. C'est à lui que l'on doit, notamment, la publication, en 1851 pour la première partie, du volume 1 de Notices, mémoires et documents. C'est lui qui est à l'origine du fameux motif aux symboles maçonniques affirmés décrit dans un autre billet. C'est lui encore qui organisa et présida les réunions des sections. Il fut un président organisateur. Ephrem Houël poursuivra avec autant de zèle et de conviction l'oeuvre de son prédécesseur.

Yves Marion Administrateur honoraire de Sahm de Saint-Lô Fontaine-Etoupefour le 23 mai 2018 Maj le 15 avril 2020

Sources : - Raymond Hélie, « La disgrâce d’un magistrat, Jacques Feuillet, juge-auditeur près le tribunal civil de Saint-Lô », Notices, mémoires et documents de la Société d’agriculture, d’archéologie et d’histoire naturelle du département de la Manche, Vol. n° 47, 1935, p. 67-86 ; archives départementales de la Manche, tiré-à-part, Saint-Lô, imprimerie Jacqueline, 18 p., cote : BIB BR 2936 - Dossier Légion d’Honneur, n° 69210. - Léon Deries, Un historien et une histoire du grand monde, Octave Feuillet, Saint-Lô, imp. Letreguilly, 1901, 234 p. - Annuaire du département de la Manche, 10e année, 1838, Saint-Lô, Imprimerie d'Elie fils, 1838, p. 144 à 167. - Guillaume Viel, Sociabilité et érudition locale : les sociétés savantes du département de la manche, du milieu du XVIIIe siècle au début du XXe siècle. Thèse soutenue en 2017, université de Caen Normandie. - Jean-Pierre Chaline, Sociabilité et érudition. Les sociétés savantes en France, Editions du CTHS, 1988, 480 p. - Georges-Robert Bottin, "La société d'archéologie et d'histoire du département de la Manche, membre du CTHS", La Manche, éducation, culture et patrimoine, n° 3, 2018/2019, p. 23-24. http://rsatgenea.free.fr/mhem/documents/MECP_3.pdf

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