Un magistrat saint-Lois, critique littéraire, juge l'oeuvre d'Henry Gréville

Adolphe Simon, Saint-lois d’adoption, juge auprès du tribunal civil de la cité préfectorale fut également un poète, un écrivain et aussi un essayiste. Peu connus, ses travaux mérités d’être présentés sur le site de notre Société saint-loise. En particulier cette étude qu’il consacra à la romancière Henry Gréville, publiée en 1879 par un imprimeur saint-lois.

 

Pour être irréprochable, affirme ce critique, un roman doit renfermer ce double caractère : la beauté de la forme, le naturel et le vrai du sujet.

 

Ces deux qualités maîtresses : l'excellence du style, le naturel du thème, bien peu y parviennent. Octave feuillet, le romancier saint-lois, contemporain de notre critique, bien en cour à l'Élysée ou à Fontainebleau, possède le premier don mais le second lui fait défaut. Voilà pourquoi, poursuit-il, Monsieur Feuillet peut être considéré comme un conteur agréable, mais il ne sera jamais un grand maître. Qui, aujourd'hui, viendrait à relire Feuillet ne pourrait que cautionner cette juste analyse. Né à Saint-Lô en 1821, entré à l’Académie française en 1862, oublié de nos jours bien qu’Immortel, en vogue pendant près d’un siècle mais maintenant démodé, il a laissé l’image un peu caricaturale d’un homme de lettres du second Empire. En revanche, il trouve chez Henry Gréville les dons nécessaires au romancier : le goût, l'esprit, un tour heureux de la forme. Dosia en est l'archétype tandis que la Maison de Maurèze reste à ses yeux l'une des meilleures productions à laquelle il attache volontiers ses préférences. Henry Gréville à toutes les qualités des meilleurs et ses fictions ont le rare mérite d'être le plus souvent la reproduction fidèle du réel et du vrai. Selon notre critique, Gréville possède ce quelque chose « d'heureux, d'aisé, de trouvé » dont parle Sainte-Beuve.

 

Cependant, contrairement à ce qu’affirme le critique saint-lois, Henry Gréville n’est pas né près de Cherbourg mais à Paris. En fait, il s’agit d’un pseudonyme. Barbey d’Aurevilly lui consacre un chapitre dans les Bas bleus. Ses premiers mots pour présenter Henry Gréville : « c’est encore une femme, à ce qu’il paraît, ce monsieur-là ! »[i]. Alice Marie Céleste Durand, née à Paris le 12 octobre 1842, est la fille de Jean François Bonaventure Fleury, né, lui, le 21 février 1821, à Vasteville[ii], et mort à Gréville-Hague[iii] le 17 avril 1894. Ecrivain, traducteur, pédagogue, il a exercé la fonction de professeur à l’université impériale de Saint-Pétersbourg de 1872 à 1892. Rentré en France, il décède à Gréville-Hague où il est enterré. Rien de surprenant à ce que l’auteur de l’étude fasse d’Henry Gréville son compatriote, le père étant plutôt son contemporain.

 

La jeune Alice Fleury accompagne son père en Russie. Elle y étudie les langues et, en 1857, épouse Emile Durand, professeur de droit et amateur d’art. Elle commence alors à écrire et, de retour en France, prend le nom de plume d’Henry Gréville en référence au village de ses parents. Auteur prolifique ainsi que le souligne le critique saint-lois, on lui doit de nombreux romans mais également un manuel d’Instruction morale et civique pour les jeunes filles, publié en 1882 et de nombreuses fois réédité. Elle décède le 26 mai 1902 à la clinique-sanatorium des docteurs Sollier à Boulogne-Billancourt[iv] où elle venait d’être admise[v]. Le décès de l’écrivaine est enregistré à la mairie de Boulogne-Billancourt le 27 et, après une cérémonie au temple de Boulogne, Henry Gréville est inhumée au cimetière parisien de Montmartre, le 29 mai 1902.

 

Quant à l’auteur de l’étude, il s’agit d’un homme de robe : Adolphe Simon, un Saint-Lois originaire du Calvados. Son étude intitulée Henry Gréville est publiée à Saint-Lô par l’imprimeur Jean Delamare, rue de la Paille, en 1879, dans la collection « le roman contemporain ». Datée du 15 avril 1879, l’auteur, évidemment, n’avait alors connaissance que d’une partie seulement de l’œuvre de la romancière qui continua de publier jusqu’à sa mort. L’ouvrage, au format in-octavo, 116 x 183 mm, comporte 31 pages et se compose de cinq chapitres, chacun reposant sur une argumentation aussi solide que serrée bien dans la ligne d’un magistrat en exercice. En effet, Constant, Adolphe Simon dit Adolphe Simon est né le 10 juillet 1834 à Morteaux[vi]. Ses parents étaient respectivement, son père, commis-marchand et domestique, sa mère, fileuse. Son grand-père était tailleur de pierre à Fresné-la-Mère[vii], dans le département du Calvados. Après des études de droit effectuées à l’université de Caen, c’est à Bayeux qu’il débute une carrière dans la magistrature. Il épouse, le 10 mai 1866, à Bayeux, Irma Thomas, la fille d’un avoué auprès du tribunal civil de la cité épiscopale et s’installe à Saint-Lô comme avoué[viii] auprès du tribunal civil de la cité préfectorale de la Manche[ix]. Avoué de 1862 à 1879, il cède son étude à Me Thouroude et se voit confier la fonction de juge auprès de ce même tribunal civil. Il peut ainsi plus aisément se livrer à ses goûts littéraires. Officier de l’Instruction publique, il est aussi membre du Conseil départemental de l’enseignement. En sa séance du 27 novembre 1893, il est admis comme membre de la Société de l’histoire de la Révolution française que préside Alphonse Aulard. Bibliophile éclairé, écrivain spirituel et fécond, d’un jugement très sûr, il fut pendant longtemps l’un des collaborateurs préférés du Messager de la Manche[x]. Adolphe Simon est l’auteur d’un certain nombre d’ouvrages de poésie mais également d’essais et d’études : Henry Gréville, Les origines de la guerre de Vendée, La vie, Heures de loisir… Il décède le 27 novembre 1897 à son domicile saint-lois, à la Villa des Palliers, une propriété qu’il avait acquise d’Octave Feuillet et de son épouse, Valérie Dubois, lorsque ces derniers décidèrent de s’en séparer.

 Les travaux d’Adolphe Simon, Saint-Lois d’adoption, sont assez peu connus pour qu’il nous soit apparu utile de les signaler surtout quand il s’agit d’apporter un jugement aussi pertinent sur l’œuvre de la romancière Henry Gréville. Particulièrement d’en donner la primeur à la section de Saint-Lô de la Société d’archéologie et d’histoire de la Manche, anciennement Société d’agriculture, d’archéologie et d’histoire naturelle du département de Manche dont le siège était établi à Saint-Lô, société savante fondée dans les premières années de la Monarchie de Juillet, à laquelle l’auteur a pu appartenir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Yves Marion

Vice-président de la Sahm Saint-Lô

Saint-Martin de Bréhal le 11 juillet 2018

 

Sources :

-          Recherches personnelles

-          Recherches Jean-Jacques Bréguet et Janjac Leroy

-          Bibliothèque personnelle : ouvrages d’Adolphe Simon

-          Dictionnaire biographie de la Manche, Paris, Jouve, 1894

-          Nouvelle biographie normande, Oursel, supplément, Picard, Paris, 1888

 

 

 

[i] Jules Barbey d’Aurevilly, Les bas-bleus, chapitre XXII consacré à Henry Gréville, Editions Victor Palmé, G. Lebrocquy, Paris, Bruxelles, 1878. https://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Barbey_d%E2%80%99Aurevilly_-_Les_Bas-bleus,_1878.djvu

[ii] Vasteville, ancienne commune, aujourd’hui nouvelle commune de la Hague, arrondissement de Cherbourg.

[iii] Gréville-Hague, ancienne commune, aujourd’hui nouvelle commune de la Hague, arrondissement de Cherbourg

[iv] https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Sollier

[v] http://garedesmots.e-monsite.com/pages/henry-greville/

[vi] Commune de Morteaux-Coulibeuf, communauté de communes du Pays de Falaise, arrondissement de Falaise, département du Calvados

[vii] Fresné-la-Mère, canton de Falaise, communauté de commune de falaise, département du Calvados.

[viii] Un avoué est un juriste, officier ministériel et auxiliaire de justice chargé de la représentation des parties auprès des tribunaux. La loi n) 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation a entraîné la suppression de la profession d’avoué le 1er janvier 2012.

[ix] Marie Constance, sa fille, née à Saint-Lô en 1870, épousera Léon Deries. Il est le grand-père de Madeleine Deries à qui j’ai consacré récemment une monographie biographique. http://yvesmarion.over-blog.com/2017/07/portrait-d-une-pionniere-oubliee-madeleine-deries-premiere-docteure-es-histoire.html

[x] Le Messager de la Manche du 1er décembre 1897. (Archives départementales de la Manche, JAL 52/166, non communicable)

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://sahmsaintlo.free.fr/index.php?trackback/44

Fil des commentaires de ce billet